12 000. C’est le nombre de cas de troubles psychiques liés au travail enregistrés par l’Assurance maladie en 2023, une progression qui ne faiblit pas depuis une décennie. La loi balise pourtant le terrain, mais sur le terrain, l’application réelle des règles laisse à désirer, surtout dans les TPE et PME, souvent démunies face à la prévention. Résultat : les signaux précurseurs passent au second plan, et le stress s’installe, banalisé, jusqu’à faire naître des situations qui auraient pu être évitées.
Les risques psychosociaux : comprendre les enjeux pour l’entreprise et les salariés
Les risques psychosociaux, ou RPS, n’appartiennent plus au registre des cas isolés. Le burn-out et la dépression ne sont que la surface visible d’un problème qui traverse secteurs, métiers et niveaux hiérarchiques. Aujourd’hui, le travail expose chacun à une porosité grandissante entre santé mentale, santé physique et santé sociale. Pression de l’urgence, objectifs mouvants, reconnaissance rare : la recette est connue, mais trop souvent sous-estimée.
Le coût de ces dérives ne se mesure pas qu’en individus touchés. Les chiffres de l’absentéisme s’emballent, le turn-over grignote la cohésion, la performance collective vacille. En filigrane, c’est tout le tissu social de l’entreprise qui s’effiloche. Les données de l’Assurance maladie sont sans appel, mais derrière les statistiques, ce sont des équipes qui se fissurent, des repères qui s’effondrent.
Pour l’employeur, la gestion des risques professionnels et du stress au travail ne se résume plus à un exercice de style. La loi oblige à évaluer les risques psychosociaux en entreprise et à garantir la santé des salariés. Les RH, en première ligne, scrutent désormais chaque signe, investissent dans des dispositifs préventifs, car l’entreprise s’expose, au-delà du malaise interne, à des poursuites et à une image entachée.
Voici les conséquences concrètes qui découlent de ces risques :
- Le stress chronique, le burn-out, la dépression frappent directement la santé mentale.
- Un climat social dégradé nourrit tensions et isolement.
- Les pertes cachées, absentéisme, désengagement, départs répétés, minent la compétitivité.
Prévenir les RPS n’est pas une option : c’est une condition sine qua non pour bâtir une organisation solide, capable de durer.
Quels sont les principaux facteurs de risques psychosociaux à surveiller ?
Lorsqu’on ausculte les facteurs de risques psychosociaux, la diversité saute aux yeux. Le rapport Gollac fait figure de référence, en distinguant six familles de risques, souvent entremêlées dans la réalité.
Voici les grandes catégories à garder en ligne de mire :
- Intensité et temps de travail : surcharge de tâches, délais serrés, horaires imprévisibles. La pression s’accumule, l’équilibre personnel bascule.
- Exigences émotionnelles : confrontation à la détresse d’autrui, gestion du conflit, obligation d’afficher une façade. Certaines populations, notamment les femmes et les jeunes, y sont particulièrement exposées.
- Manque d’autonomie : tâches verrouillées, absence de marge de manœuvre, décisions imposées sans discussion. L’impression de subir prend le dessus.
- Rapports sociaux et reconnaissance : soutien insuffisant, remerciements absents, conflits ou harcèlement. Le climat se tend, parfois jusqu’à la rupture.
- Conflits de valeurs : consignes contradictoires, éthique professionnelle bafouée, impossibilité de faire du bon travail. L’engagement se délite.
- Insécurité de la situation de travail : précarité, réorganisations, avenir incertain. L’anxiété gagne du terrain.
Le télétravail ajoute sa part de complexité : isolement, hyperconnexion, difficulté à tracer la limite entre vie privée et professionnelle. Les modèles de Karasek et de Siegrist apportent des regards complémentaires sur la façon dont contraintes et ressources s’articulent, ou sur la balance entre efforts fournis et reconnaissance obtenue.
Pour agir, il s’agit d’abord de mener une évaluation rigoureuse : cartographier les risques, écouter le vécu des équipes, analyser chaque rouage de l’organisation. Car le risque psychosocial ne se niche pas toujours là où on l’attend, et il échappe souvent aux grilles toutes faites.
Identifier les signaux d’alerte : comment repérer une situation à risque ?
Repérer les signaux d’alerte est l’un des défis majeurs de l’évaluation des risques psychosociaux en entreprise. Les indicateurs classiques sautent parfois aux yeux : un absentéisme qui grimpe en flèche, des arrêts maladie à répétition, un turn-over qui s’accélère. Mais bien souvent, les signaux sont plus diffus : démotivation, ambiance délétère, perte de repères. Ce sont ces nuances qu’il faut savoir capter.
Face à ces risques professionnels, l’observation des signes faibles fait toute la différence. Un salarié qui se met en retrait, des tensions qui s’installent, une communication qui se délite. Les troubles ne sont pas que psychiques : le stress s’exprime aussi par des douleurs physiques, maux de tête, troubles du sommeil ou digestifs. Santé mentale, physique et sociale s’entremêlent.
L’absence de soutien social appelle une vigilance particulière. L’isolement multiplie les risques de burn-out ou de maladies chroniques, comme l’ont montré de nombreuses études. Pour y faire face, il faut encourager la parole, la remontée des difficultés, l’analyse collective. Les outils existent, enquêtes anonymes, baromètres internes, ateliers participatifs, mais aucun ne remplace l’écoute, le questionnement et la reconnaissance du mal-être, avant qu’il ne s’installe durablement.
Des leviers concrets pour prévenir les dangers et instaurer un climat serein au travail
La prévention des risques psychosociaux repose sur des démarches éprouvées. Le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) constitue le socle incontournable. Il permet de recenser, d’analyser et de hiérarchiser les risques liés à l’organisation du travail, à la charge, aux relations sociales, au manque d’autonomie. Depuis la loi du 2 août 2021, chaque employeur doit anticiper, formaliser et corriger ces dangers.
Une politique de prévention ne s’arrête pas à la rédaction d’un document. Elle s’appuie sur la mobilisation du CSE, des managers, des représentants du personnel. L’ANACT met à disposition des outils comme le modèle C2R pour identifier contraintes, ressources et régulations. Les actions de prévention s’articulent autour de plusieurs axes :
- Les actions primaires visent à éliminer les sources de stress à la racine : réorganisation des plannings, clarification des missions, limitation de l’hyperconnexion.
- Les mesures secondaires renforcent les capacités d’adaptation des salariés : formation, groupes de parole, espaces d’écoute.
| Type de prévention | Objectif | Exemples |
|---|---|---|
| Primaire | Supprimer les facteurs de risque | Réorganisation du travail, clarification des rôles |
| Secondaire | Aider à gérer les risques | Ateliers de gestion du stress, coaching |
| Tertiaire | Réparer les conséquences | Accompagnement psychologique, retour progressif |
La veille réglementaire ne doit rien laisser au hasard : le code du travail impose une véritable obligation de résultat en matière de santé au travail. Le CSE agit comme un vigile et un moteur de solutions collectives. Les chiffres de la Dares rappellent la réalité économique des RPS : absentéisme, chute de productivité, coût social du stress. Les outils sont là, mais sans volonté partagée, aucun climat serein ne résiste longtemps.
Rien ne remplace la vigilance collective, ni la capacité à remettre l’humain au cœur du travail. Face aux risques psychosociaux, c’est la cohésion qui fait la différence, celle qui transforme les fragilités en énergie commune.


